Lechevalier, Arnaud "La perte de compétitivité de la France par rapport à l’Allemagne : une affaire de coûts du travail ? (I) La singularité de l’Allemagne réunifiée." Alternatives Economiques, 16 février 2011
(...) le coût réel du travail (salaires bruts plus cotisations légales et volontaires des employeurs) dans l’industrie française, comme dans l’ensemble de l’économie, progresse au même rythme que la productivité, un peu mois vite dans la deuxième moitié des années 1990 et un plus rapidement par la suite, de sorte que le coût salarial unitaire (le rapport entre le coût du travail et la productivité) est resté grosso modo stable sur la période (voir graphique). Ce coût salarial unitaire (CSU) est l’indicateur le plus pertinent de la compétitivité-coût dans le cadre d’une zone monétaire unique, où les changements de parité monétaire ne sont plus possibles. Ce qui importe ce ne sont pas les coûts en soi, mais bien les coûts rapportés à l’efficacité productive de la main d’œuvre.
Si l’on se concentre sur la période 2000-2007, il n’y a pas eu de dérapage du coût du travail (hors inflation) dans l’industrie française, puisque les coûts ont progressé au même rythme que dans les autres pays de l’Union Européenne[3]. Le rapport semble découvrir que la part des cotisations sociales dans le coût total du travail est plus importante en France qu’en Allemagne (environ 30% contre 23% pour les cotisations «employeurs», mais respectivement 8,8% contre 12% pour les cotisations «salariés» en 2008), mais cette part, comme celle des rémunérations directes, est restée stable dans les deux pays depuis 2000, et même depuis 1996, et ne saurait expliquer les divergences d’évolution des coûts totaux du travail.
En revanche, il y a eu, à partir de 2003, un fléchissement de la productivité dans l’industrie française avec un rythme de croissance annuelle ramené à un peu plus de 2,5% contre 4,1% sur la période de 1991 à 2003, de sorte que le coût salarial unitaire a progressé de 5 points de pourcentage entre 2000 et 2007, et même un peu plus dans la seule industrie manufacturière, où il avait baissé également plus rapidement au cours des années 1990.
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Décomposition de l’évolution du coût salarial unitaire (CSU) dans l’industrie
(coût réel du travail par emploi/productivité par emploi)
(coût réel du travail par emploi/productivité par emploi)
Source : Comptes nationaux, propres calculs
La comparaison avec la seule Allemagne est trompeuse, en raison de l’histoire singulière récente de ce pays. S’agissant de la productivité à l’échelle de l’ensemble de l’économie, l’Allemagne et la France connaissent des évolutions remarquablement voisines à long terme qu’il s’agisse de la productivité par personne en emploi ou par heure travaillée. S’agissant de la croissance de la productivité, les deux pays se situent dans la moyenne de l’ex-Union Européenne à 15 pays (soit environ 1% par an depuis 1995 et moins depuis 10 ans), soit une croissance près de deux fois inférieure à celle des Etats-Unis. Si l’on concentre l’attention sur la seule industrie, la productivité par personne employée ou par heure de travail a aussi progressé entre 1991 et 2007 à des rythmes tout à fait similaires dans les deux industries nationales : plus rapidement en France entre 1999 et 2004, mise en place des 35 heures aidant, puis plus vite outre-Rhin entre 2005 et 2007 au moment de la reprise de la croissance. Au total, les salariés de l’industrie étaient aussi productifs dans les deux pays avant la crise, et même un peu plus productifs en France dans la seule industrie manufacturière. Ce n’est donc pas là qu’il faut chercher la clé du succès allemand à l’export. La crise mondiale a depuis bouleversé la donne. Les politiques de rétention de la main d’œuvre menée par l’industrie allemande pour résister à la chute de la production ont fait, transitoirement, chuté la productivité de plus de 20% en 2009, ce qui a fait bondir le coût salarial unitaire.
La singularité allemande, et non pas française, tient bien à l’évolution du coût salarial. Après une forte hausse consécutive à la réunification, le coût réel du travail par salarié avait en 2005 un niveau inférieur à celui de … 1995 et même la reprise de la croissance entre 2005 et 2007 a accéléré cette évolution par la conjonction d’une faible augmentation des coûts nominaux (2% par an) et d’une forte augmentation de la valeur ajoutée en volume (le déflateur). En conséquence le coût salarial unitaire réel, qui avait fortement augmenté au début des années 1990 a rejoint ce niveau initial en 2000, et il n’a cessé de baisser jusqu’en 2008, à un rythme sans équivalent dans l’UE ; cette évolution s’étant accélérée à partir de 2002. En conséquence, la part des rémunérations salariales dans la valeur ajoutée brute de l’industrie (dont l’inverse est la part des profits bruts des entreprises) a perdu 11 points sur la seule période 2000-2007 ! Exprimés en monnaie constante et par heure travaillée, les salaires nets se situaient en 2008 à peu près au même niveau que celui qu’ils atteignaient dans les Länder de l’ancienne RFA au moment de la réunification.[4]
Résultats : alors que les coûts horaires du travail dans l’industrie manufacturière étaient encore de 10% supérieurs en l’an 2000 en Allemagne (27,60 euros contre 25 en France), ils étaient d’un niveau légèrement inférieur en 2008 (32,5 euros contre 32,9). Là encore, la hausse a été en France proche de la moyenne de la zone euro alors qu’elle a été sensiblement inférieure en Allemagne. La Belgique, le Danemark et la Suède avaient, en 2008, les coûts les plus élevés (entre 35 et 36 euros de l’heure), devant la France et l’Allemagne, contre une moyenne de 29,2 dans la zone euro, tirée vers le bas par l’Italie (23,6), l’Espagne (19,2), la Grèce (18,9) ou le Portugal (9,5) - une hiérarchie des coûts horaires indépendante des performances à l’exportation. Il faut noter en complément que l’Allemagne a pour particularité d’avoir le différentiel de salaires entre l’industrie et les services le plus prononcé parmi les Etats membres de l’UE. En conséquence, le coût moyen horaire du travail dans le secteur privé y est plus bas (28,5 euros), soit à peine supérieur à la moyenne de l’Union Economique et Monétaire (27 euros et 32 en France). Comme les durées moyennes (mais non le partage) du travail sur l’année sont très proches dans les deux pays, un salarié français dispose désormais « en moyenne » d’un revenu salarial un peu supérieur à celui d’un salarié allemand. Est-ce là la clef d’explication du succès de l’économie allemande à l’export ?
[4] Rémy Lallement, « Le régime allemand de croissance tiré par l’exportation : entre succès et remise en cause », Centre d’Analyse Stratégique, Document de travail, mai 2010.
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